La part des anges
Scrogn | 19 juin 2009“Où vas-tu si vite, Monsieur ?â€
L’homme hésita avant de s’arrêter. Il aurait bien pu ignorer le garçonnet mais quelque chose le retint. Pourquoi être grossier avec des enfants alors qu’on les somme d’être polis ?
“ On ne t’a jamais appris à voussoyer les grandes personnes, petit ? Et puis qu’il ne faut pas parler aux inconnus ?â€
L’enfant fronça son petit nez avec un air de dégoût outré.
“Voussoyer ? Non. Mais je sais tant d’autres choses que tu ignores…â€
“Vraiment ? Et aurais-tu l’obligeance de me donner un exemple de ta sagesse sans limite ?â€
“Bien sûr.  Je sais pourquoi l’eau est transparente. C’est parce que le ciel est vaniteux.â€
L’homme ne pût réprimer un léger sourire. La poésie innocente de l’enfant le touchait. Et voilà bien longtemps qu’il n’avait pas ressenti au coeur une brise aussi légère et pure. Il décida de prolonger cet instant de grâce avant de reprendre sa route. Sa longue route. Son chemin de croix.
Ses pensées aussi pessimistes rompirent le charme. Une ride douloureuse lui barra le front. Le petit s’en émut. Les coeurs simples ont souvent la compassion facile.
“ Tu as perdu quelque chose, monsieur ?â€
“On ne peux pas dire ça puisque je n’ai rien. Je poursuis ma quête.â€
“C’est quoi, ta quête ?â€
“Je ne sais pas.â€
“C’est idiot de ne pas le savoir.â€
“Non. Tant de gens vivent sur terre sans savoir pourquoi. Je saurai quelle est ma quête lorsque je l’aurai terminée. Une quête, c’est une question en suspens.â€
“Mais quelle est ta question, alors ?â€
“Je ne la connais pas encore. Mais je sais que je dois la chercherâ€.
“ Et la réponse, dans tout ça ?â€
“Toute interrogation ne nécessite pas obligatoirement de réponse.  Tout problème ne demande pas forcément de solution.â€
“Ah… Je comprends…â€
Mais l’air dubitatif de l’enfant démentait ses dires.
“Je peux venir avec toi, Monsieur ?â€
“Tu n’as aucune bonne raison de me suivre ou de me précéder. Tu ne cherches rien, toi.â€
“Je suis en quête d’une quête. Ça te va ?â€
L’homme ne répondit rien. Seulement, sa main s’attarda dans son dos et se perdit dans son passé. L’angelot papillonna une question :
“ Tu es mort quand, toi ? â€
“ Je ne sais plus. Je crois même que je ne l’ai jamais su. J’ai agonisé si longtemps…Tu saisis ? J’ai tant lutté que j’en ai mangé ma bouée de sauvetage. Un jour, de guerre lasse, j’ai lâché prise et j’en suis mort. â€
L’enfant faillit heurter l’homme quand ce dernier se figea brusquement.
“ Que t’arrive-t-il, Monsieur ? â€
“Que suis-je devenu alors ? Que suis-je maintenant ? Un fantôme, une âme errante, un damné ?â€
“Rien de tout cela. N’as-tu pas encore compris que nous n’étions que…
des…
souvenirs…
bientôt oubliés ?…â€
Et le soleil disparut avec eux.
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