Temps mort (3/3)
Scrogn | 12 septembre 2010Le lendemain soir, après avoir passé la journée caché dans une cave à me bichonner pour mon ultime rendez-vous, je repris le même chemin que la veille, sans avoir cette fois-ci la soif de tuer. Juste le besoin douloureux et irrésistible de revoir Bianca. De l’écouter parler de cette voix suave qui, faute d’avoir damné un saint, sauvait l’âme d’un monstre. De respirer cet air qu’elle avait la grâce de transformer en parfum lourd de sensualité et de pureté.
Le coeur battant la chamade, je longeais la palissade avec toute la prudence que me permettait ma fébrilité. J’arrivais enfin à l’endroit exact où j’étais tombé sous le charme de Bianca. Elle n’était pas là . J’eus l’impression que mon âme se brisait, que je m’effondrais en moi-même. Avait-elle menti ? Tout à coup, la porte de sa maison s’ouvrit, laissant passer l’homme de la veille qui s’effaça pour que Bianca puisse sortir à son tour. Tranquillement, l’air de rien, elle se rapprocha de ma position.
– Bonsoir Mike. Vous avez passé une bonne journée ?
Le même émoi envahit mon être et paralysa ma langue. Je ne pouvais que la dévorer du regard.
– Et bien ? Vous n’avez rien à me dire ? Vous n’êtes pas heureux de me voir ?
Je ne voulais surtout pas la décevoir. Pas ma Bianca. J’ai dit alors la première chose qui me passait par l’esprit et qui me rongeait de façon sublime le coeur :
– Je vous aime.
Elle n’a pas ri de moi. Elle ne s’est pas moquée de moi. Elle ne s’est pas échappée. Elle s’est juste contentée de hausser ses épaules tristement.
– On ne tombe pas amoureux aussi vite. Nous ne nous connaissons même pas. Vous êtes comme un papillon de nuit : attiré par une simple petite lueur.
J’eus une bouffée de fièvre orgueilleuse et, sous le volcan de mes sentiments, ma gorge se libéra enfin :
– Vous ne croyez pas au coup de foudre, Bianca ? Pouvez-vous affirmer que rien ne peut se passer par un seul regard ? Que rien ne peut se créer, indestructible et éternel, grâce à un souffle commun ? Pensez-vous sincèrement que des sentiments ne peuvent naître d’un simple battement de cils ? Répondez-moi, Bianca ! Êtes-vous vous à ce point désabusée pour piétiner un phénomène qui est bien au-dessus de nous ? Pouvez-vous faire taire le vent ? Pouvez-vous rendre le soleil terne ? Pouvez-vous empêcher la pluie de nous baptiser ? Tout ceci parce que vous êtes une athée de la vie ? Bianca, vous êtes sans pouvoir devant mon amour !
– Roméo et Juliette…
– Pardon ?
– Une tragédie qu’il m’a déjà lu…
Du menton, elle désigna l’homme campé sur le perron qui semblait vouloir adopter résolument des attitudes de garde du corps.
– Ah ! Et cela se termine comment ?
– Comme une tragédie : mal.
– Mais vous ne m’avez pas répondu, Bianca. Vous ne croyez que je puisse déborder d’amour pour vous ?
Elle ouvrit la bouche quand soudain…
Soudain, une main me saisit par la peau du coup. Littéralement. Et plutôt que de recevoir cette réponse tant espérée, j’ai entendu une grosse voix tonner avec fierté :
– Tiens, tiens, tiens ! « La Terreur » ! Depuis le temps qu’on veut te coincer ! Ton compte est fait, mon bonhomme !!!
Alors qu’on m’arrachait à mon amour, Bianca cria :
– Mike ! Mike ! Je t’aime !
Ainsi donc, elle me tutoyait à son tour. N’y a-t-il pas de preuve d’amour plus grande ? Sans même que nos corps ne se touchent, elle m’acceptait enfin dans sa douce intimité.
Instinctivement, je me suis tordu le cou pour apercevoir du coin de l’oeil l’homme du perron foncer vers ma bien-aimée et la kidnapper pour l’enfermer dans la maison.
Groggy comme j’étais, je n’ai que peu de souvenirs entre mon transport et ma rétention en tant que telle.
En pleine nuit, je me suis retrouvé derrière des barreaux. Je pense que mes compagnons de cellule auront plus de chance que moi. Ils auront droit à un procès, même sommaire. Moi, je suis foutu. Mon passé me rattrape. Et pour un tueur en série, avoir peur de la mort, cela relève du gag. Cela ne fait pas sérieux.
Derrière la porte vitrée qui nous séparent de des décideurs, je sais que mes geôliers préparent la piqûre létale. Au petit matin, je suis mort.
C’est dommage. Je suis sûr que Bianca et moi aurions fait de magnifiques petits chatons.
Ha mais quel punch, des chats! Génial, j’adore ton écriture, tout simplement sublime!
C’est vraiment bon !!!! Belle surprise….Quel talent !!!
j’aime beaucoup le style 🙂