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Le testament – 1ère partie

Scrogn | 3 juin 2007

Je souhaite dédier cette nouvelle (en deux parties)  à une de nos amies qui vient de subir un terrible accident. Karine, si tu passes dans le coin,  j’espère que cette petite bafouille te plaira, qu’elle allègera un peu ta convalescence et qu’elle te fera sourire… On pense bien à toi et reviens-nous vite !!!

Il est de ces histoires qui hantent vos nuits sans sommeil, parce qu’elles sont issues de votre héritage familial. Des angoisses qui semblent être ancrées dans vos veines, des terreurs qui font parties de vous, des peurs qui, à défaut d’être domestiquées, vous sont terriblement familières.

Mes racines n’ont rien arrangé. Mes ancêtres bretons ont toujours respecté cette nécessité d’être de purs superstitieux. L’Ankou, notre mort personnifiée, est un parent gênant, un voisin envahissant, un être dont on voudrait bien se débarasser mais qui traîne toujours dans les parages et qui, surtout, s’invite immanquablement au mauvais moment. La Grande Faucheuse vit avec nous et contre nous. Elle est à table avec nous, elle se penche sur notre labeur, elle veille au coin du feu en faisant grincer la petite chaise, elle éclaire nos nuits. En gros, bizarrement, l’Ankou, c’est la vie.

Et si quelqu’un le savait bien, c’était mon arrière-arrière-arrière-grand-père. C’est que, voyez-vous, ma famille a eu un joli lot de notaires sur les bras. De père en fils. Et de père en fils. Et de père en fils. Et de père en fils. Cet état de chose a dû forger le caractère de mon clan, à travers les âges. À égalité avec les prêtres, les croque-morts et les médecins, les notaires avaient l’habitude de croiser l’Ankou avant de l’affronter de face. Mon ancêtre répétait souvent que sa profession l’amenait à tenir la porte à la mort. Il devait être galant…

Si j’en crois l’imagerie familiale, cet homme, à l’époque de cette histoire, était râblé comme une vieille souche, buriné comme un champ, enraciné dans sa terre avec passion. Il avait, paraît-il, un feu follet ironique qui faisait flambloyer son regard d’un froid gris acier. Son sourire, dénué de toute illusion, avait pourtant une tendresse triste, une petite touche d’amour désespéré. Un jour ou l’autre, il perdrait sa chère clientèle. Et il vivait avec ça. Mieux, il en vivait justement.

Habillé comme un homme de la ville en cette contrée de Bretagne sauvage et mythologique, il se faisait remarquer comme étant un homme de loi, même de loin. C’était à l’époque où l’on reconnaissait aussi un prêtre ou un bonne soeur à l’horizon, sans lui adresser la parole. De nos jours, il ne reste plus que les policiers et les pompiers (en exercice) qui portent publiquement sur eux les attributs de leur vocation.

Mon arrière-arrière-arrière-grand-père (appellons-le Yves, pour les besoins de l’histoire) était doté d’un petit clerc à la figure de fouine prénommé Job. Ce dernier avait une seule qualité, c’était d’être méticuleusement pétri de son emploi,  son seul défaut étant de sursauter, terrorisé, à chaque petit bruit suspect ou devant un infime évènement sortant de l’ordinaire. Un pur produit du folklore baignant le pays de mes ancêtres. Encore un qui aurait mieux fait de consacrer sa vie à un autre métier.

Car, s’il est bien un profession qui tutoie le surnaturel, qui fréquente l’irrationnel, c’est bien le notariat. En effet, les membres de cette curieuse fratrie assistent, impuissants, à des mariages, à des ventes de propriété, à la rédaction de testaments. Et, si possible, à l’instant ultime. Cet instant fatal, celui qui fait tout basculer.

Je dois vous préciser que les gens de mon pays breton ont eu longtemps une viscérale défiance à l’égard des institutions françaises, et que ceux-ci faisaient davantage confiance à leurs armoires et matelas qu’en des banques avec des coffres. Aussi, il n’était pas rare d’entendre parler de celui-ci ou de celle-là qui avait légué, avec son dernier souffle, des sommes faramineuses (enfin, tout est relatif) à des bénéficiaires dont le lien de parenté était, pour le moins, ténu. Mais en Bretagne, le sang s’exprime où et quand il peut.

C’est exactement ce qui c’est produit lorsque Yann, le sabotier mécréant de la contrée, est arrivé, à bout de souffle chez Yves, le notaire de la région.

- Viens vite, l’Maître ! Y’a la vieille Soizic qui va bientôt voir de quoi l’aut’ côté est fait ! Elle vous réclame de toute urgence.

L’heure était assez tardive et la rédaction d’un testament breton de dernière minute pouvait demander des heures. De plus, pour se rendre chez la mourante, mon aïeul et son compère devaient traverser une forêt enchanteresse le jour, mais franchement lugubre, en pleine nuit. Et en charette, qui plus est. Un vrai cauchemar, comme semblait suinter le regard épouvanté du petit clerc. Mais Yves n’en tint aucun compte. Sa fibre de notaire avait vibré.

- On y va, mon gars, on y va. Préviens Monsieur l’Abbé et le médecin.

Mon aïeul saisit sans ménagement sa sacoche et ce pauvre Job, dont le teint aurait fait de l’ombre à tout suaire digne de ce nom. Les voilà, cahin-cahan, sur le chemin de la vie, en route au chevet d’une agonisante.

La vielle Soizic abritait ses rides et sa bosse dans une petite maison basse, sombrement intime. Son défunt homme avait battu de ses lourds sabots la terre du sol, en dansant joyeusement, le petit doigt de sa dame encroché avec le sien. Tout le pays s’en souvenait, du beau Erwan. Il riait constament. Il riait du beau et du mauvais temps, des bonnes et des mauvaises nouvelles. Il montrait ses belles dents à la vie. Et sa femme y allait en choeur. Seulement, une après-midi, on ramena des champs le cadavre de son homme. Soizic se noya dans ses larmes. Pelotonné dans son ventre, son bébé ressentit de plein fouet son chagrin et en mourut.

Celle qui fut connu sous le nom de « la Belle Françoise » devint « la vieille Soizic », emmurée farouchement dans sa tristesse, ses souvenirs et ses espoirs défunts. Ses neveux et nièces, de solides cinquantenaires, eurent eu vent d’une galette (pur beurre) qui avait eu le bon goût de dorer sous le linge de maison de leur tante. Aussi, ils s’étaient tous rassemblés près de l’âtre de la grande salle pour assister aux derniers instants de la pauvre femme. Cette assemblée comportait pourtant des membres sincèrement peinés. La bonne Anne, vieille fille, massacrait avec douleur son mouchoir de dentelle trempé. Le petit Mériadec ne tentait même plus dissimuler son torrent de larmes. Soizic avait toujours choyé ce faible d’esprit,  le bourrant de confiture, de crêpes et de gâteaux. Le cousin Ronan reniflait plus bruyamment que coutume, malgré les coups de coude furieux de sa femme, Maryvonne, que ce concert geignard semblait déranger au plus haut point. Sa comptablilité s’en trouvait faussée. Annick calculait la valeur des meubles rustiques, tandis que Yann, son cousin, rêvassait sur les paturages riches et gras de sa tante. Pierrick, quant à lui, foudroyait du regard la porte, la punissant de ne lui avoir pas encore livré l’homme de loi qui allait mettre tout le monde d’accord.

C’est dans cette ambiance, pour le moins bigarrée, que mon arrière-arrière-arrière-grand-père atterrit, son clerc agrafé à ses basques. Il eut l’impression d’apporter avec lui, outre sa fouine d’assistant, un vent de soulagement. Le testament sera enfin fait. Et on saurait quoi reviendrait à qui. (…)

Vous aurez la suite (si vous êtes sages) dès jeudi….

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6 Responses to “Le testament – 1ère partie”

  1. Mariposa dit :
    4 juin 2007 à 9:02 am

    Vite, vite, vite la suite… Je trouve comme vous avez une plume intéressante, qui me laisse assoiffée, j’ai déjà hâte de connaître la suite.

  2. nenette chinoise dit :
    4 juin 2007 à 9:09 am

    Heureusement que mon breton de mari ne dort pas avec moi ce soir ….La suite avant qu’il ne reviennne!!!Promis nous serons sage.

  3. Alain dit :
    4 juin 2007 à 2:37 pm

    En effet, j’ai hâte de savoir la suite…!! Un vrai feuilleton!!! Pour ce qui est de l’Ankou, je lui ai fait rebrousser chemin plus d’une fois dans le cadre de mon ancienne profession. Disons que je le connais bien!!!

    À jeudi donc!!!

    Alain

  4. Aileen dit :
    5 juin 2007 à 2:11 am

    Je débarque peut-être mais pourquoi on doit attendre jeudi ?! Non mais, je suis toujours sage d’abord…

  5. Scrogn dit :
    6 juin 2007 à 6:26 am

    Mariposa : Merci ! 🙂 J’espère que la suite ne vous décevra pas…

    Nénette : Pas de chantage affectif, souplè ! 😆

    Alain : En Bretagne, on raconte que c’est le dernier défunt de l’année qui devient l’Ankou. Si ça se trouve, l’Ankou actuel fut médecin, de son vivant. À méditer… 😉

    Aileen : Pourquoi ? Parce que … 😛

  6. nenette chinoise dit :
    6 juin 2007 à 9:04 am

    Je ne te mets pas la pression ,mais jeudi chez nous c’est dans 2 heures…Tic,tac,tic,tac
    Les scrottes*, laissez maman accomplir sa mission!

    *Les scrottes devraient etre les progenitures du scrogn

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