Le testament – 2ème partie
Scrogn | 6 juin 2007Un feu famélique chuintait dans la cheminée. Il éclairait chichement l’assemblée qui avait tourné vers le notaire des visages si différents. Désolé, désespéré, résigné mais si triste, avide, calculateur, gourmand. Yves a dû se régaler. Ou il devait déjà être blasé. Qui sait…
La vieille Soizic râlait pitoyablement dans la seule pièce dotée d’une certaine intimité au sein de la masure, tentant avec ses dernières forces de retenir l’huis au nez rongé de l’Ankou. Le notaire s’engouffra dans la chambre, suivit de près par son clerc blafard. De façon toute professionnelle, il ferma la lourde porte derrière lui. Un vrai confessionnal.
Erwan avait offert à son épouse comme cadeau de noce un immense lit-clos : une pièce entière placardée de panneaux de bois finement ouvragé. Une véritable curiosité dans la région. La chambre était certes petite et l’âtre minimaliste, mais la chaleur y survivait bien.
Soutenue par d’énormes oreillers, la vieille Soizic gémissait. Sa bouche édentée avait engloutie ses lèvres et ressemblait à un four qui consummait les derniers instants de sa vie. La mourante déglutit péniblement en voyant entrer le notaire et son clerc.
– Enfin, soupira-t-elle. Tant de choses à faire et si peu de temps… Si peu de temps…
Elle ferme les yeux. Son menton rendu saillant par les ans, se posa sur sa poitrine.
– Elle dort, ou… est-ce trop tard ? gémit Job.
Yves n’eut pas le temps de répondre. Soizic avait déjà relevé la tête et elle semblait implorer du regard l’homme de loi.
– Vite, l’Maître. Je voudrais régler mes affaires avant de partir. Monsieur l’Curé m’a déjà administré. Il reste… le reste.
L’exiguïté de la chambre força le notaire à s’asseoir à même le lit. Le clerc demeura debout, éclairant de son mieux la scène avec une bougie fumante d’une main et de l’autre tenant l’encrier. Mon ancêtre avait emporté avec lui un petit pupitre portatif qu’il posa en équilibre sur ses genoux.
– Commençons, ma bonne Françoise. Nous sommes prêts.
– « Ma bonne Françoise » ? Erwan m’appelait ainsi… J’ai si hâte de le revoir… Mais avant…
Le menton de la vieille femme se reposa comme un oiseau sur les draps.
– Mam coz (Grand-Mère) ? Mam Coz ?Â
Le petit clerc se mit à trembler tant et si bien que la bougie faillit s’éteindre. Yves toucha légèrement la main gantée de veines de sa cliente. Soizic se redressa, comme galvanisée par son contact. Les yeux grands ouverts, elle se mit à chuchoter son testament.
– La maison, les meubles et le petit champs reviendront à mon filleul Brieuc. Il doit bientôt prendre femme. Le terrain de la Pierre Cassée est pour Mériadec, celui du Vieux Chêne, à Ronan. A Ronan, hein ? Pas à Maryvonne ! Anne aura les bijoux. Un peu de coquetterie ne lui fera pas de mal….. Je lègue mes mouchoirs brodés à Annick. Elle en aura bien besoin…
La mourante poursuivit ainsi, en faisant l’inventaire de tous ses biens et en pourvoyant jusqu’aux dernières brindilles de son arbre généalogique. Sans prendre aucune pose, Soizic faisait son dernier ménage. Scrupuleusement, mon aïeul nota tout, y compris les remarques assassines ou tendres de la vieille femme sur ses héritiers.
Le travail fut long et fastidieux. Il dura presque toute la nuit. A l’aube naissante, Yves avait terminé de mettre en forme le testament. Il apposa sa signature au bas du document et demanda à Job d’en faire autant, en qualité de témoin. Puis se tournant vers sa cliente, il lui dit doucement :
- À votre tour.
Les doigts osseux de la mourante se saisirent de la plume. Soizic traça en tremblant un « F », la seule lettre qu’elle connaissait et dessina une petite croix à côté. Puis le testament fût dument cacheté.
– Voilà , c’est terminé. Tout est en ordre, Françoise. Vous pouvez vous reposer.
La vieille femme ferma les yeux.
– Merci, l’Maître. Je vais pouvoir aller rejoindre mon homme, maintenant. Je suis prête…
Elle poussa un grand soupir et sa tête roula sur le côté. Yves se pencha sur Soizic puis murmura, pensif :
– Tout est fini. Elle vient de rendre l’âme.
Il moucha la bougie et rangea ses affaires. Job avait les larmes aux yeux. Ils sortirent de la pièce lentement, l’air grave. La parenté comprit immédiatement devant leurs mines sombres, qu’une vie avait quitté la maison. Le medecin venait d’arriver et, sans même poser de question, se dirigea vers la chambre.
Anne éclata en sanglots bruyants tandis que Mériadec poussa un petit cri d’animal blessé. Foudroyant du regard son mari qui cachait son visage ravagé dans un large mouchoir, Annick demanda, les lèvres pincées :
– Vous aviez eu le temps de… de… de tout noter ?
Sèchement, le notaire répliqua par l’affirmative :Â
–  N’ayez crainte. Nous venions tout juste de terminer le testament lorsqu’elle a expiré…
À ce moment, derrière lui, le médecin lui demanda :
– En êtes-vous sûr, Maître ? Parce que cela fait des heures qu’elle est morte…
Tres bien ecrit.J’ai meme pas ete pertubee par les nains qui hurlaient pendant ma lecture.J’espere qu’il y a une troisieme partie qui va nous expliquer c’est quoi ce bordel…
OUAH! soufflé comme la chandelle je suis. Pour une première visite sur ton blog, (suite au Yulblog) ça vaut vraiment le détour. J’aimerais bien cependant qu’on m’explique un peu l’Ankou, qui me semble être à la fois un sorcier, la mort, les fantômes du passé… enfin le bonhomme sept-heure… Ça mériterait un billet.
J’te l’avais dit moukmouk qu’elle écrivait bien not’Scorgn!! Bravo Scrogn!!! Il nous en faut beaucoup plus comme ça!!! Dès que tu publies en librairie, j’accours me le procurer!!!!
Bonne soirée à tous!!
Alain
Nénette : Mais, il n’y a rien à expliquer ! 😉
Moukmouk : Les bretons n’ont pas peur de la mort, par contre, l’Ankou, c’est une autre affaire… Aussi, ne compte pas trop sur moi pour gloser sur le… sujet ! L’Ankou, c’est l’Ankou… 😛
Alain : T’es ben trop fin ! 🙂