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Temps mort (2/3)

Scrogn | 29 août 2010

Apprenant de mes erreurs passées, je me suis appliqué à ne vivre qu’à l’ombre. Le jour nous rend facilement repérables. La nuit, avec quelques prudences, nous rend invisibles. Aussi me terrais-je jusqu’aux derniers rayons du soleil avant de vagabonder dans les rues. De toute manière, un prédateur de ma trempe ne pouvait agir autrement.

La ville pardonne difficilement aux minables de la vie. Ou est-ce la vie qui pardonne difficilement aux minables de la ville ? Avouez que vous avez déjà croisé ces ratés crottés et que vos yeux ont, par instinct, cherché refuge auprès d’un repère transpirant le propre et l’ordre. Mais la nuit, dit-on, tous les chats sont gris. Combien de silhouettes vacillantes, certaines vomissant dans le caniveau y ai-je croisées ? Ces mêmes personnes qui iront demain au travail, fraîches et nickels. Vous vous reconnaissez peut-être. Mais moi, contrairement à vous, je ne me suis pas renié. Jour et nuit, je suis moi : un monstre.

Voyez, j’ai aimé la noirceur avant d’aimer Bianca. Ma douce chérie.

La première fois que je l’ai vue, c’était par hasard. Enfin, pas tout à fait. J’ai entendu dire que les tueurs en série préféraient sévir dans leur territoire, question de confort. Moi pas. Au contraire. Il serait dommage qu’on me reconnaisse, non ? Aussi, j’ai profité du crépuscule pour étendre mon terrain de chasse. Vers l’ouest, courant après les derniers râles du soleil.

Ma première victime, je l’ai violée dans mon quartier. Grâce à elle, j’ai appris que ces femelles, pourtant si aguichantes, hurlaient, griffaient et se débattaient lorsque je voulais cueillir mon dû. Salopes. Toutes des salopes. Sauf Bianca.

Par la suite, j’ai appris à tuer. C’est que je détestais entendre crier. Alors, j’égorge. Les « glou-glou » sanguinolents me rappellent un petit ruisseau de mon enfance, qui gazouillait derrière la bicoque branlante de mes tortionnaires. C’était mon seul refuge. Que voulez-vous. Je dois être un de ces romantiques qui s’ignorent et que vous avez ignorés.

N’allez pas croire que toutes ces victimes ont fait de mon sommeil un brouillon. Bien au contraire. C’est reposant de savoir que je ne suis pas le seul à en avoir bavé. J’ai juste élargi juste ma communauté de sans-âme. Car j’en fais partie. De toutes mes tripes. J’en suis même venu à me demander s’il existait autre chose que des viscères dans notre corps.

Et c’est bien là que je me suis fourvoyé. J’ai un coeur. Pas celui qui a disparu devant la terreur de mes victimes. Non. Celui-là même qui s’arrêtera de battre bientôt. D’ailleurs, un tueur en série n’est pas censé avoir de sentiment. C’est bien pour ça qu’il va se servir chez les autres.

Et pour ces raisons, j’ai traversé maintes fois la moitié de ma ville : éviter de me faire repérer, éprouver des sensations, violer et tuer. Tout un programme.

Je me suis mis en marche alors que le soleil mourait. J’ai poursuivi son agonie tout en voulant semer la mort. J’errais mollement lorsque je l’ai vue. Ma Bianca.

En fait, ma chance ressemblait plus à une fuite éperdue. J’avais repéré une victime. Celle qui ne demandait rien à personne et qui semblait passer son temps à vouloir se fondre dans le décor. La femelle terne par excellence. Elle devait revenir d’une promenade sans but pour revenir dans un foyer sans joie. Dans une ruelle, j’ai voulu l’attaquer. L’idiote s’est débattue et a tenté de fuir. Sa course l’a amenée directement sous les roues d’une voiture qui roulait trop vite. J’ai vu le chauffard sortir de son bolide en oscillant de terreur . J’ai vu la foule de curieux s’amasser autour d’une silhouette sanguinolente et affalée sur le macadam. J’ai entendu le conducteur pleurer. J’ai entendu la troupe de voyeurs murmurer son horreur. Si jeune et crever ainsi.

J’ai déserté la scène en espérant ne pas me faire remarquer. C’est ainsi que j’ai atterri derrière la clôture de Bianca. Pour être tout à fait honnête, je dirais que je me suis retrouvé entre la palissade et la haie épaisse de cèdre. Une excellente cachette et l’endroit parfait pour tomber amoureux. Mais une cachette pour le moins inconfortable, vous en conviendrez.

Entre deux branches de conifères, j’ai entrevu ma Bianca. Ma bien-aimée.

Elle était assise, au milieu d’une cour aux airs bâtards de parc mais trop grand pour fleureter avec un jardin. Ses épaules parfaites, si pâles sous le clair de lune, avaient ce petit quelque chose de résigné aristocratique. Déprimé et digne à la fois.

– Psitt ! Psiiiiitttttt !!!

Quel magnifique discours ! Mais je n’avais rien trouvé de mieux comme entrée en matière. Ses yeux, d’émeraude doré, qui se perdaient rêveusement dans un bosquet de roses l’instant d’avant, ont assassiné mon âme à ce moment précis. Vous ne pouvez comprendre ce qu’un seul regard peut faire avant d’y avoir succombé. Beaucoup en parlent, peu y survivent.

Elle a donc tourné sa tête vers moi. Un frisson qui ressemblait à un tsunami des chaumières fit tressaillir son dos et m’inondât d’une vague de sentiments inconnus. Était-ce l’amour ? Avoir chaud et froid en même temps, ressentir des picotements furieux et des douces caresses, se sentir vivant et mort à la fois ? Je n’en savais rien. Je ne sais toujours pas. Mais , une chose est sûre, jamais je n’avais été bouleversé à ce point.

D’une démarche un peu raide, elle fit quelques pas vers ma direction. Sans se rendre contre la barrière. Juste ce qu’il fallait pour déguerpir et pour entamer la fin de ma vie.

– Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous voulez ? Que se passe-t-il ?

Sa voix détruisit les derniers remparts de mon âme loqueteuse.

– En fait, ma jolie, je dois rester discret. Question de sécurité. Et ma mère n’a pas eu le temps de me donner un nom, trop pressée qu’elle était de se débarrasser de ma personne. Mais tout le monde me connait. On m’appelle « La Terreur », ma mignonne. Et toi ?

Même si elle tiqua légèrement devant mon ton familier, elle ne parut guère impressionner par mon côté délinquant.

– « La Terreur » ? Dois-je m’en contenter ?

– Je pense me souvenir que mon prénom est Mike, répondis-je tout penaud.

Jamais personne ne m’avait tenu tête ainsi. Comme quoi, la douceur recèle des armes bien surprenantes. Devant mon désarroi retentissant, elle me darda d’un regard quasi létal tant il était empreint d’une nonchalance charitable.

– Toutefois je connais votre réputation. « La Terreur » est un personnage tristement célèbre.

Pour la première fois de ma vie de meurtrier, j’eus honte de mes méfaits sanglants. Et comme si cela ne suffisait pas, j’avais l’impression d’avoir le cerveau en panne de répartie. Pourtant, il m’était crucial de briller devant mon étoile chérie. Alors que je cherchais désespérément une réponse spirituelle, elle vint à mon aide :

– Vous devriez partir maintenant. Si j’en crois tout ce brouhaha, la foule ne tardera pas à venir.

– Effectivement. Vous serez ici demain soir ? À la même heure ?

Par coquetterie, elle ne releva pas mon vouvoiement subit. Derrière elle, sur le perron de la maison, un homme lui intimait l’ordre de rentrer, rendu certainement inquiet par les évènements de la rue. Avant de rompre le charme, Bianca me promit d’être au rendez-vous. D’une démarche discrètement chaloupée, elle regagna ses pénates.

J’ai dû rester deux ou trois minutes contre la barrière, à vouloir suspendre le temps. Puis, mon instinct de survie reprit le dessus. Je me suis enfui. Mais pour mieux revenir une dernière fois.

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Temps mort (1/3)

Scrogn | 15 août 2010

Demain, je suis mort. D’aucuns diront que mon temps est inapproprié. Ça tombe bien. Je n’en ai plus devant moi.

Bien sûr, je suis un tueur et un violeur en série. De ceux qui choisissent leurs proies, qui jouent avec leur peur sombre , qui savourent la souffrance coulant de leurs veines. J’ai dégusté leur terreur, j’ai mangé leur vie, j’ai bu leur âme. Je suis un monstre. Mais un monstre qui a aimé. Et cette ultime histoire aurait pu me sauver. Mais cette société bien pensante en a décidé autrement. Pourtant, cette dernière m’a laissé faire tant de choses horribles. Si longtemps.

Entre nous, dès ma naissance, les choses se présentaient mal. Né de père inconnu, je fus placé dans une famille d’accueil très jeune. Ma génitrice ne pouvait s’occuper de moi, semble-t-il. Ai-je des frères ou des soeurs ? Je ne sais pas. Sans doute. Ma mère collectionnait les amants et les grossesses. Donc, c’est logique. Les oui-dire ont véhiculé que je n’étais pas le seul de mon espèce à avoir soif de sang et aimer tuer. Les murmures des fonds de cour ont raconté que mon père était le frère de ma mère. Pourquoi pas. Si j’en crois ce que je sais, tout ceci explique certainement que ma lignée soit tarée.

Pour mon grand malheur ou pour répondre à ma destinée, mon nouvel environnement adoptif était de ceux qui favorisent les plus bas instincts du sadisme. Chez certains, la méchanceté est un défaut. Dans ma famille d’accueil, c’était un art de vivre.

Le fils de la maison éprouvait un malin plaisir à me torturer. Aussi sec que vicieux, ce gamin aux yeux délavés, répondait difficilement à son prénom (prénom  qui m’hérisse le poil depuis), tant l’atome qui lui servait de cerveau était atrophié. Sans graisse ni muscle, Fred étais un paquet de nerfs à fleur de peau. À peine ai-je pu survivre aux jeux,  plus humiliants les uns que les autres, de mon demi-frère. Il adorait me déguiser en fille. Visiblement, il aurait préféré une soeur. Tandis que je tentais de me faire oublier, aspirant à me fondre dans un mur, il me débusquait et me frappait sans relâche pour me voir enfin réagir à sa cruauté sans nom.

La matriarche me méprisait et son troisième conjoint m’ignorait tout simplement. Je ne devais rien dire, rien faire, sous peine de voir ma belle-mère débouler avec un ceinturon frémissant à la main, l’écume bouilonnante aux lèvres et la fureur vibrant dans la prunelle.  À peine ai-je eu de quoi me nourrir certains soirs. La famille y veillait.  Quant aux coups de pieds, aux gifles, aux rossées de balai, aux volées, ceux-ci faisaient partie de mon quotidien pitoyable et m’étaient souvent servis en guise de repas. C’est certainement pourquoi j’en suis venu à avoir faim de la vie des autres.

Non pas que je rejette la totalité la faute sur ces gens mais avouez qu’il existe des terreaux plus fertiles que d’autres. Ma hargne d’être un « rien », ma colère d’être un « inexistant », ma fureur d’être un « sans cesse rejeté », ont fait de moi un assoiffé de pouvoir. Et le pouvoir suprême s’exerce sur la vie des autres.  La vie ne m’a rien donné. Je me suis servi. Alors, j’ai tué. Beaucoup.

J’avais déjà fait des fugues avant. Seulement, ma mauvaise étoile a oeuvré contre moi. Elle a fait en sorte  que je fus renvoyé systématiquement dans ma famile  d’accueil bancale. Mes yeux implorants, mes blessures pourtant visibles, n’avaient pas fait bronché les bonnes femmes, bardées de  bonne intentions, attachées à mon dossier. Mes bourreaux avaient l’excuse facile :

– Nous le considérons comme notre propre enfant. Nous faisons tout pour lui. Mais il se bagarre avec les autres, vous comprenez ? Et nous n’y pouvons rien. Il s’en prend même à notre petit Fred. C’est un jeune sauvage.

Cétait vrai, après tout. Mais j’avais de bonnes raisons.

Les dames patronnesses n’ont plongé leur regard dans mes yeux uniquement pour voir s’y refléter leurs bonnes actions futiles. Il paraît que l’oeil est le miroir de l’âme. Alouette. Lustrant leurs uniformes, badges et leur réputation de bien-pensantes, visibles pour tous, elles répliquèrent :

– Il est possible que nous fassions une visite de contrôle.

Ma famille d’accueil a eu du mal à réprimer un ricanement à ce moment. Je fis de même.

Mais le mien, lui, était teinté d’amertume.

C’est pourquoi un soir de printemps j’ai décidé de m’enfuir. Définitivement, cette fois.

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Le testament – 2ème partie

Scrogn | 6 juin 2007

Un feu famélique chuintait dans la cheminée. Il éclairait chichement l’assemblée qui avait tourné vers le notaire des visages si différents. Désolé, désespéré, résigné mais si triste, avide, calculateur, gourmand. Yves a dû se régaler. Ou il devait déjà être blasé. Qui sait…

La vieille Soizic râlait pitoyablement dans la seule pièce dotée d’une certaine intimité au sein de la masure, tentant avec ses dernières forces de retenir l’huis au nez rongé de l’Ankou. Le notaire s’engouffra dans la chambre, suivit de près par son clerc blafard. De façon toute professionnelle, il ferma la lourde porte derrière lui. Un vrai confessionnal.

Erwan avait offert à son épouse comme cadeau de noce un immense lit-clos : une pièce entière placardée de panneaux de bois finement ouvragé. Une véritable curiosité dans la région. La chambre était certes petite et l’âtre minimaliste, mais la chaleur y survivait bien.

Soutenue par d’énormes oreillers, la vieille Soizic gémissait. Sa bouche édentée avait engloutie ses lèvres et ressemblait à un four qui consummait les derniers instants de sa vie. La mourante déglutit péniblement en voyant entrer le notaire et son clerc.

– Enfin, soupira-t-elle. Tant de choses à faire et si peu de temps… Si peu de temps…

Elle ferme les yeux. Son menton rendu saillant par les ans, se posa sur sa poitrine.

– Elle dort, ou… est-ce trop tard ? gémit Job.

Yves n’eut pas le temps de répondre. Soizic avait déjà relevé la tête et elle semblait implorer du regard l’homme de loi.

– Vite, l’Maître. Je voudrais régler mes affaires avant de partir. Monsieur l’Curé m’a déjà administré. Il reste… le reste.

L’exiguïté de la chambre força le notaire à s’asseoir à même le lit. Le clerc demeura debout, éclairant de son mieux la scène avec une bougie fumante d’une main et de l’autre tenant l’encrier. Mon ancêtre avait emporté avec lui un petit pupitre portatif qu’il posa en équilibre sur ses genoux.

– Commençons, ma bonne Françoise. Nous sommes prêts.

– « Ma bonne Françoise » ? Erwan m’appelait ainsi… J’ai si hâte de le revoir… Mais avant…

Le menton de la vieille femme se reposa comme un oiseau sur les draps.

– Mam coz (Grand-Mère) ? Mam Coz ? 

Le petit clerc se mit à trembler tant et si bien que la bougie faillit s’éteindre. Yves toucha légèrement la main gantée de veines de sa cliente. Soizic se redressa, comme galvanisée par son contact. Les yeux grands ouverts, elle se mit à chuchoter son testament.

– La maison, les meubles et le petit champs reviendront à mon filleul Brieuc. Il doit bientôt prendre femme. Le terrain de la Pierre Cassée est pour Mériadec, celui du Vieux Chêne, à Ronan. A Ronan, hein ? Pas à Maryvonne ! Anne aura les bijoux. Un peu de coquetterie ne lui fera pas de mal….. Je lègue mes mouchoirs brodés à Annick. Elle en aura bien besoin…

La mourante poursuivit ainsi, en faisant l’inventaire de tous ses biens et en pourvoyant jusqu’aux dernières brindilles de son arbre généalogique. Sans prendre aucune pose, Soizic faisait son dernier ménage. Scrupuleusement, mon aïeul nota tout, y compris les remarques assassines ou tendres de la vieille femme sur ses héritiers.

Le travail fut long et fastidieux. Il dura presque toute la nuit. A l’aube naissante, Yves avait terminé de mettre en forme le testament. Il apposa sa signature au bas du document et demanda à Job d’en faire autant, en qualité de témoin. Puis se tournant vers sa cliente, il lui dit doucement :

- À votre tour.

Les doigts osseux de la mourante se saisirent de la plume. Soizic traça en tremblant un « F », la seule lettre qu’elle connaissait et dessina une petite croix à côté. Puis le testament fût dument cacheté.

– Voilà, c’est terminé. Tout est en ordre, Françoise. Vous pouvez vous reposer.

La vieille femme ferma les yeux.

– Merci, l’Maître. Je vais pouvoir aller rejoindre mon homme, maintenant. Je suis prête…

Elle poussa un grand soupir et sa tête roula sur le côté. Yves se pencha sur Soizic puis murmura, pensif :

– Tout est fini. Elle vient de rendre l’âme.

Il moucha la bougie et rangea ses affaires. Job avait les larmes aux yeux. Ils sortirent de la pièce lentement, l’air grave. La parenté comprit immédiatement devant leurs mines sombres, qu’une vie avait quitté la maison. Le medecin venait d’arriver et, sans même poser de question, se dirigea vers la chambre.

Anne éclata en sanglots bruyants tandis que Mériadec poussa un petit cri d’animal blessé. Foudroyant du regard son mari qui cachait son visage ravagé dans un large mouchoir, Annick demanda, les lèvres pincées :

– Vous aviez eu le temps de… de… de tout noter ?

Sèchement, le notaire répliqua par l’affirmative : 

–  N’ayez crainte. Nous venions tout juste de terminer le testament lorsqu’elle a expiré…

À ce moment, derrière lui, le médecin lui demanda :

– En êtes-vous sûr, Maître ? Parce que cela fait des heures qu’elle est morte…

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Le testament – 1ère partie

Scrogn | 3 juin 2007

Je souhaite dédier cette nouvelle (en deux parties)  à une de nos amies qui vient de subir un terrible accident. Karine, si tu passes dans le coin,  j’espère que cette petite bafouille te plaira, qu’elle allègera un peu ta convalescence et qu’elle te fera sourire… On pense bien à toi et reviens-nous vite !!!

Il est de ces histoires qui hantent vos nuits sans sommeil, parce qu’elles sont issues de votre héritage familial. Des angoisses qui semblent être ancrées dans vos veines, des terreurs qui font parties de vous, des peurs qui, à défaut d’être domestiquées, vous sont terriblement familières.

Mes racines n’ont rien arrangé. Mes ancêtres bretons ont toujours respecté cette nécessité d’être de purs superstitieux. L’Ankou, notre mort personnifiée, est un parent gênant, un voisin envahissant, un être dont on voudrait bien se débarasser mais qui traîne toujours dans les parages et qui, surtout, s’invite immanquablement au mauvais moment. La Grande Faucheuse vit avec nous et contre nous. Elle est à table avec nous, elle se penche sur notre labeur, elle veille au coin du feu en faisant grincer la petite chaise, elle éclaire nos nuits. En gros, bizarrement, l’Ankou, c’est la vie.

Et si quelqu’un le savait bien, c’était mon arrière-arrière-arrière-grand-père. C’est que, voyez-vous, ma famille a eu un joli lot de notaires sur les bras. De père en fils. Et de père en fils. Et de père en fils. Et de père en fils. Cet état de chose a dû forger le caractère de mon clan, à travers les âges. À égalité avec les prêtres, les croque-morts et les médecins, les notaires avaient l’habitude de croiser l’Ankou avant de l’affronter de face. Mon ancêtre répétait souvent que sa profession l’amenait à tenir la porte à la mort. Il devait être galant…

Si j’en crois l’imagerie familiale, cet homme, à l’époque de cette histoire, était râblé comme une vieille souche, buriné comme un champ, enraciné dans sa terre avec passion. Il avait, paraît-il, un feu follet ironique qui faisait flambloyer son regard d’un froid gris acier. Son sourire, dénué de toute illusion, avait pourtant une tendresse triste, une petite touche d’amour désespéré. Un jour ou l’autre, il perdrait sa chère clientèle. Et il vivait avec ça. Mieux, il en vivait justement.

Habillé comme un homme de la ville en cette contrée de Bretagne sauvage et mythologique, il se faisait remarquer comme étant un homme de loi, même de loin. C’était à l’époque où l’on reconnaissait aussi un prêtre ou un bonne soeur à l’horizon, sans lui adresser la parole. De nos jours, il ne reste plus que les policiers et les pompiers (en exercice) qui portent publiquement sur eux les attributs de leur vocation.

Mon arrière-arrière-arrière-grand-père (appellons-le Yves, pour les besoins de l’histoire) était doté d’un petit clerc à la figure de fouine prénommé Job. Ce dernier avait une seule qualité, c’était d’être méticuleusement pétri de son emploi,  son seul défaut étant de sursauter, terrorisé, à chaque petit bruit suspect ou devant un infime évènement sortant de l’ordinaire. Un pur produit du folklore baignant le pays de mes ancêtres. Encore un qui aurait mieux fait de consacrer sa vie à un autre métier.

Car, s’il est bien un profession qui tutoie le surnaturel, qui fréquente l’irrationnel, c’est bien le notariat. En effet, les membres de cette curieuse fratrie assistent, impuissants, à des mariages, à des ventes de propriété, à la rédaction de testaments. Et, si possible, à l’instant ultime. Cet instant fatal, celui qui fait tout basculer.

Je dois vous préciser que les gens de mon pays breton ont eu longtemps une viscérale défiance à l’égard des institutions françaises, et que ceux-ci faisaient davantage confiance à leurs armoires et matelas qu’en des banques avec des coffres. Aussi, il n’était pas rare d’entendre parler de celui-ci ou de celle-là qui avait légué, avec son dernier souffle, des sommes faramineuses (enfin, tout est relatif) à des bénéficiaires dont le lien de parenté était, pour le moins, ténu. Mais en Bretagne, le sang s’exprime où et quand il peut.

C’est exactement ce qui c’est produit lorsque Yann, le sabotier mécréant de la contrée, est arrivé, à bout de souffle chez Yves, le notaire de la région.

- Viens vite, l’Maître ! Y’a la vieille Soizic qui va bientôt voir de quoi l’aut’ côté est fait ! Elle vous réclame de toute urgence.

L’heure était assez tardive et la rédaction d’un testament breton de dernière minute pouvait demander des heures. De plus, pour se rendre chez la mourante, mon aïeul et son compère devaient traverser une forêt enchanteresse le jour, mais franchement lugubre, en pleine nuit. Et en charette, qui plus est. Un vrai cauchemar, comme semblait suinter le regard épouvanté du petit clerc. Mais Yves n’en tint aucun compte. Sa fibre de notaire avait vibré.

- On y va, mon gars, on y va. Préviens Monsieur l’Abbé et le médecin.

Mon aïeul saisit sans ménagement sa sacoche et ce pauvre Job, dont le teint aurait fait de l’ombre à tout suaire digne de ce nom. Les voilà, cahin-cahan, sur le chemin de la vie, en route au chevet d’une agonisante.

La vielle Soizic abritait ses rides et sa bosse dans une petite maison basse, sombrement intime. Son défunt homme avait battu de ses lourds sabots la terre du sol, en dansant joyeusement, le petit doigt de sa dame encroché avec le sien. Tout le pays s’en souvenait, du beau Erwan. Il riait constament. Il riait du beau et du mauvais temps, des bonnes et des mauvaises nouvelles. Il montrait ses belles dents à la vie. Et sa femme y allait en choeur. Seulement, une après-midi, on ramena des champs le cadavre de son homme. Soizic se noya dans ses larmes. Pelotonné dans son ventre, son bébé ressentit de plein fouet son chagrin et en mourut.

Celle qui fut connu sous le nom de « la Belle Françoise » devint « la vieille Soizic », emmurée farouchement dans sa tristesse, ses souvenirs et ses espoirs défunts. Ses neveux et nièces, de solides cinquantenaires, eurent eu vent d’une galette (pur beurre) qui avait eu le bon goût de dorer sous le linge de maison de leur tante. Aussi, ils s’étaient tous rassemblés près de l’âtre de la grande salle pour assister aux derniers instants de la pauvre femme. Cette assemblée comportait pourtant des membres sincèrement peinés. La bonne Anne, vieille fille, massacrait avec douleur son mouchoir de dentelle trempé. Le petit Mériadec ne tentait même plus dissimuler son torrent de larmes. Soizic avait toujours choyé ce faible d’esprit,  le bourrant de confiture, de crêpes et de gâteaux. Le cousin Ronan reniflait plus bruyamment que coutume, malgré les coups de coude furieux de sa femme, Maryvonne, que ce concert geignard semblait déranger au plus haut point. Sa comptablilité s’en trouvait faussée. Annick calculait la valeur des meubles rustiques, tandis que Yann, son cousin, rêvassait sur les paturages riches et gras de sa tante. Pierrick, quant à lui, foudroyait du regard la porte, la punissant de ne lui avoir pas encore livré l’homme de loi qui allait mettre tout le monde d’accord.

C’est dans cette ambiance, pour le moins bigarrée, que mon arrière-arrière-arrière-grand-père atterrit, son clerc agrafé à ses basques. Il eut l’impression d’apporter avec lui, outre sa fouine d’assistant, un vent de soulagement. Le testament sera enfin fait. Et on saurait quoi reviendrait à qui. (…)

Vous aurez la suite (si vous êtes sages) dès jeudi….

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Dernière plaidoirie

Scrogn | 18 mai 2007

Juste pour savoir ce que vous en pensez…

DERNIÈRE PLAIDOIRIE

 » Venez-en au fait, Maître Fuerte ! Venez-en enfin au fait ! Si vous pouviez faire un effort ! Je ne vous reconnais pas. »

Ainsi interpellé, l’avocat sentit ses derniers étais psychologiques cédés devant tant d’agressivité. Trop de pression, trop de catastrophes… Tout s’écroulait. Aussi, Maître Fuerte prit sa meilleure décision depuis fort longtemps. Il s’écroula lui-même, en perdant connaissance, au beau milieu du tribunal, sous les yeux de tous.

Il faut dire que sa journée avait été parfaitement catastrophique. Il s’était réveillé frigorifié, avec une sinistre impression que dorénavant, tout irait très mal pour lui, et surtout avec cette douleur lancinante au creux de l’estomac, comme si on l’avait poignardé. Pourtant, il s’était taillé une belle réputation au sein de sa société d’accueil. Lui, le petit mexicain qui, fuyant la misère de son pays, avait obtenu tous ses papiers en règle pour immigrer dans un pays opulent. Il avait abandonné, sans trop de regret, sa famille au pays. De toute manière, celle-ci l’avait laissé grandir avec une certaine désinvolture qui l’avait toujours meurtri. Fuir, ne pas se retourner et advienne que pourra !

Tout ce beau rêve s’était pulvérisé aujourd’hui lorsque le spécialiste lui avait annoncé d’une voix monocorde qu’il était foutu. Et pas qu’un peu…

– Je viens de recevoir vos résultats. Ils sont désastreux. Vous avez un cancer métastasé. C’est sans appel.

« Sans appel »… Pour un avocat, cette expression avait un petit je-ne-sais-quoi de cynique. Tentant s’accrocher à un espoir à peine diaphane, Maître Fuerte gémit :

– Et avec des rayons ? Une opération peut-être ?

Le spécialiste secoua gravement la tête. L’avocat en resta sonné. Mais ce n’était pas tout. Le diagnostic n’avait pas fini de déroulé ses rails abjects.

– De plus, votre taux de cholestérol est épouvantable…

À ce moment précis, l’avocat faillit éclater de rire. Quelle idiotie ! Lui reprocher son gras alors que le crabe lui rongeait les entrailles. Mais le ricanement de Fuerte s’étrangla pour se muer en un pitoyable sanglot.

– Il me reste combien de temps à vivre ?

– Très peu… Maintenant, je dois vous quitter, d’autres patients m’attendent.

L’avocat se retrouva dans son bureau sans savoir où il avait trouvé la force de se mouvoir. Surtout, ne rien laisser transparaître. Son stagiaire, un certain Hass, se montra particulièrement obséquieux.

– Vous paraissez fatigué, Maître. Vous n’êtes plus vous-même.

– Sans blague, songea Fuerte, si tu avais reçu une telle nouvelle, je ne suis pas sûr que tu aurais pavané autant, petit crétin…

Hass poursuivit impitoyablement la conversation.

– Maître Fuerte, je pense que je suis prêt pour devenir un avocat à part entière.

Son supérieur eut un rictus mauvais.

– Vraiment ? Sachez que je reste persuadé, personnellement, que vous n’êtes pas prêt. Vous n’êtes pas assez mûr.

Hass haussa les épaules comme s’il savait que, de toute manière, son but était d’ors et déjà atteint. Comme s’il connaissait la fin prochaine de son vis-à-vis. Fuerte ne tenta même pas de se mentir. Lui mort, ce misérable opportuniste de bas étage prendra sa place. L’avocat n’avait jamais compris comment ce… cette petite chose avait pu attirer les regard. Fuerte avait constaté que la plupart de ses concurrents étaient morts de trac le jour du recrutement. Les autres furent ternes, lui fut brillant de mille feux. Et il se fit remarquer. Il fut choisi sans que les patrons n’eussent à se poser beaucoup de questions. Forcément, Fuerte était le meilleur. Que ce petit avorton de Hass ait pu franchir la grande porte… Ceci était incompréhensible. Mais en ce jour, les sentiments qu’éprouvait l’avocat vis-à-vis de son subalterne glissaient d’un mépris furieux vers une haine glaciale.

Puis il y eut le tribunal… Cette remontrance insidieuse et obstinée du juge… Cette impression épouvantable qu’il étouffait. C’était le cancer, le crabe, le cholestérol, le gras qui l’étranglaient. C’était ce misérable Hass qui l’écrasait sous sa botte carriériste. C’était le prétoire entier qui l’effaçait définitivement du monde des vivants et qui le dévisageait comme s’il avait perdu la tête… Alors Fuerte en eut assez. Ce fut à ce moment qu’il sombra dans l’inconscience.

Lorsqu’il reprit ses esprits, il se crut être encore entre les murs de son lieu de travail. L’ambiance était aussi aseptisée. Trop de blanc, trop froid, trop sombre la plupart du temps. Mais Maître Fuerte se rendit compte qu’il n’était pas seul.

- Où suis-je ? Qui êtes-vous ? Je vous connais ?

Son compagnon sourit avec dédain.

– Vous êtes ici. Vous me connaissez parce ce que je suis… toi.

La familiarité finale aurait fait bondir Fuerte si celui-ci avait été d’attaque. Mais à ce moment précis, il ne pouvait que se laisser emporter par une folie salvatrice.

– Vous êtes moi ? Tant mieux. Je commençais à me sentir un peu seul avec mes problèmes de…

L’autre le coupa ironiquement :

– …avec NOTRE crabe, NOTRE graisse ? T’a-t-il dit que NOTRE taux de sel avait de quoi faire frémir des morues séchées ? Il a oublié cette bonne nouvelle ?

– Pourquoi me dire tout ceci ? Je suis foutu… NOUS sommes finis. Quel est l’intérêt de cet ultime cauchemar ?

– C’était juste pour rire. Adieu, mon frère jumeau, ma moitié…

Engourdi, le célèbre avocat Fuerte s’enfonça résolument dans cet océan d’aberration et oublia tout.

***

 

– Mon amour, c’était délicieux ! Vraiment, tu t’es surpassée, ce soir !

– C’est gentil ! Tu veux l’autre moitié, mon chéri ?

L’homme acquiesça. Et son adorable femme lui servit l’autre moitié de Fuerte, un savoureux avocat au crabe avec de la mayonnaise.

 

Alors ?

 

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